Johann Heinrich Füssli et William Blake : “Les cauchemars gothiques"
- juliecamus0311
- 30 oct. 2020
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 nov. 2020
Au XVIIIe siècle, à l'époque des Lumières, le rationalisme dominait l'art et la science. En réaction, le romantisme a exploré et nourri l'intérêt pour le surnaturel. De 1764 à 1820 ont été publiés en Angleterre des romans d'un nouveau style, appelés « romans gothiques ». Ces romans héritent de la graveyard poetry et de Shakespeare, une écriture très sombre et terrifiante. Dans ces fictions, surnaturel, suspense, règnent en maîtres. Le tout se déroulant dans un décor plein de mystères, comme des églises, des châteaux… Tout cela fait frissonner le lecteur. Ann Radcliffe est l'une des romancières les plus connues et créatives de ce mouvement. Elle a écrit The Romance of the Forest dans lequel elle introduit des personnages complexes et des phénomènes surnaturels, le tout se terminant avec une explications rationnelle.

Photo d'Ann Radcliffe, photographe inconnu, site Babelio.
Dans ce contexte, où l'occultisme et les forces surnaturelles fascinent les auteurs, cela a ouvert la voie à un nouveau type de création, audacieuse, vivante, passionnante. Les peintres ne sont pas en reste, surtout en Grande-Bretagne, mais aussi pour ceux qui voyagent beaucoup et tirent cet attrait de leurs voyages. Deux des artistes les plus célèbres inspirés par ce contexte, sont Johann Heinrich Füssli et William Blake.
Johann Heinrich Füssli (1741 - 1825) :

Portrait d'Henry Fuseli, James Northcote, 1778, huile sur toile. 77,8 cm x 64,5 cm, National Portrait Gallery, Londres
Fils d'un graveur en Suisse, J. Füssli quitta tôt son pays pour voyager, de Berlin à Rome. Puis, il pose ses valises en Angleterre en 1776. Il n'aime pas beaucoup les hommes de cette époque, à l'exception de J.K. Lavater, Johann Wolfgang von Goethe, John Flaxman et William Blake. Au début, il voulait être un peintre historique officiel, visant un style et une carrière très néoclassiques. En 1799, il est nommé professeur de peinture à la Royal Academy où il fut considéré comme un des meilleurs spécialistes et conférenciers sur l’art. Cependant, au lieu de suivre ce chemin toute sa vie, il a préféré suivre sa créativité. Il s'est baptisé « Fuseli » et a mélangé des peintures anglaises avec des inspirations italiennes. Son style, très reconnaissable, est à la croisée du classicisme et du mouvement Sturm and Drang. Il voulait créer un type de peintures historiques qui permettraient des thèmes fantastiques et sombres. Ajoutant à ce style particulier, il était fasciné par les sujets tels que la Bible et les œuvres littéraires de Dante, W. Shakespeare, J. Milton, source inépuisable d'inspiration. Il a fait beaucoup de travaux: gravures, aquarelles, dessins, et a fait preuve d'une imagination et une spiritualité très développées. Il y a aussi beaucoup d'évocations érotiques sombres dans ses tableaux, voire de perversion : voyeurisme, sadisme… Son ami, puis opposant, Benjamin Haydon explique "Les forces agissantes dans l’esprit de Füssli sont le blasphème, la luxure et le sang… Ses femmes sont toutes des putains et ses hommes des bandits. […]". Une de ses toiles est même devenue un symbole et une image de l'horreur gothique: Le Cauchemar, en 1781.

J. H. Füssli, Le Cauchemar, 1781, huile sur toile, 101,6 × 127,7 × 2,1 cm, Institut des arts de Détroit.
Cette peinture, réalisée en trois versions, représente une femme lascive, allongée sur un lit baignant dans une douce lumière, avec ses bras et sa tête étendus jusqu'au sol. Une créature étrange est assise sur sa poitrine pendant qu'un cheval aux yeux blancs les regarde. Il y a beaucoup d'interprétations pour cette peinture, mais l'une est que la créature est un incube, un démon qui prend position au-dessus des gens dans leur sommeil, parfois allant même jusqu'à avoir des relations sexuelles avec des femmes endormies. Cependant, la peinture n'est pas explicite, donc la femme pourrait juste rêver. Il vise probablement à montrer la futilité de la lumière pour expliquer l'obscurité de notre esprit.
J. H. Füssli meurt à Putney, à 84 ans. Il laisse un vaste héritage créatif derrière lui qui a inspiré un autre grand esprit contemporain : William Blake.
William Blake (1757 - 1827) :

Portrait de William Blake, Thomas Phillips, 1807, huile sur toile, 92,1 cm x 72 cm, National Portrait Gallery, Londres.
W. Blake est un peintre, poète et graveur bien connu. Il apprend avec son père le métier de graveur et le dessin. Malheureusement, en 1787, son frère décède et ce triste événement le change à jamais. Il avait des visions religieuses depuis qu'il était enfant mais à cette période, il commence à avoir des hallucinations allant de pair avec de nouvelles idées créatives. Il se met à écrire des poèmes et à graver son propre travail. Son humanisme, sa foi en la puissance de l'imagination et ses nouvelles pensées philosophiques qui sont précurseurs sur l'être humain, le rendaient insensible aux thèmes de l'art : le culte de la nature et la mélancolie. Il refuse les institutions religieuses traditionnelles et défini Dieu comme « une allégorie des rois ». Il écrit de nombreux livres exposant ses idées, subdivisés en trois types: ouvrages lyriques, théoriques et prophétiques. Songs of Innocence and of Experience est un de ses recueils de poésie lyrique. Dans ce recueil, il joue et exploite les tensions entre l'enfance et le monde adulte. Il présente un monde idyllique, naturel mais fragile correspondant à l'enfance dans Songs of Innocence, qu'il met en écho avec un monde déchu, dystopique, urbanisé, associé à l'âge adulte dans Songs of Experience.
Tous ses écrits trouvent leur équivalent dans son art. W. Blake était contre l'art du passé autant que l'art du présent. Il détestait les peintures à l'huile, le naturalisme et les maîtres comme Rubens ou Rembrandt. Il a également lutté contre l'académisme et le fait que certaines peintures étaient le reflet du monde matériel. Il a utilisé une méthode similaire à la fresque, mais a également combiné peintures et impressions dans des œuvres uniques. Ses œuvres ne trouvent pas d’inspiration dans la nature, ou des portraits comme les peintres de sa décennie, elles s’appuient sur son imagination et des livres comme celui de Dante, ou encore dans Le Paradis perdu, de Milton. En cela, il trouve un ami et une inspiration dans l'art qui propose J. H. Füssli. Il a représenté des corps ou des visions avec un contour prononcé, et a dépeint de nombreux symboles, rendant son art spécial.
En vieillissant, ces symboles sont devenus de plus en plus personnels dans ses dessins pour la Divine Comédie (Dante) : Dante en rouge est un symbole de passion, tandis que Virgile en bleu est le génie poétique. Ces aquarelles, au nombre de cent, sont réalisées en 1824, à la demande de John Linnell, un de ses proches.

William Blake, Dante fuyant les Trois Bêtes 1824–187
© National Gallery of Victoria, Melbourne, Australie.
William Blake s'éteint en 1827, à Londres. Il est considéré par de nombreuses personnes, comme un des précurseurs du romantisme.
Ainsi, ses deux figures contemporaines, précurseurs et inspiration pour les mouvements artistiques futurs, tels que le romantisme ou encore le surréalisme, se font écho par des œuvres singulières, expressives promulguant une pensée nouvelle et révolutionnaire. Ces deux artistes ont notamment fait l'objet d'une exposition en 2006 au Tate Britain nommée "Gothic Nightmares : Fuseli, Blake and the Romantic Imagination". Articulée autour de l'œuvre Le cauchemar de Füssli, elle met en parallèle 25 toiles et aquarelles et W. Blake.
A retrouver sur : Tate Britain Exposition, Fuseli, Blake, Gothic Nightmares.
Comments